Visite virtuelle de l'expo Monique Leyrac avec les photos d'Alain Laforest

Conjoint de Sophie Gironnay, fille de Monique Leyrac et conceptrice de l'expo, Alain Laforest a fait de magnifiques photos des lieux. Photographe d'architecture, il a travaillé avec Phyllis Lambert, fondatrice du Centre Canadien d'Architecture (CCA). Il y agit comme photographe puis photographe en chef, chef des services photographiques, responsable technique du Théâtre Paul-Desmarais du CCA et responsable de la diathèque, des installations multimédias et de l'éclairage dans les salles d'exposition. Dans le cadre de ce travail, il a fait plusieurs photographies d'architecture, mais aussi des milliers de photographies de reproduction des collections du CCA : dessins, plans, livres, maquettes et photographies d'architecture de toutes les époques (voir www.index-design.ca/article/photographe-d-architecture-alain-laforest). Que vous ayez visité ou pas l'expo, admirez les formidables photos d'Alain. À noter que la majorité des photos vues dans l'expo sont d'Antoine Desilets, que plusieurs considèrent comme le père de la photographie de presse québécoise (www.ordre-national.gouv.qc.ca/membres/membre.asp?id=210). Comme vous pouvez le constater, nous avons été choyés au niveau des images.

Vous trouverez également, entre les photos d'Alain, un texte qui trace la ligne de vie de Monique, qui a été bonifié par sa fille Sophie. Bonne visite!

 25 février 1928

Naissance de Marie Thérèse Monique Tremblay à Montréal, fille de Thomas Tremblay, menuisier et de Lucienne Laperle. Les parents se sont connus lui en jouant du violon et elle du piano. Monique est la 3e de 8 enfants, dans cette famille pauvre vivant à Rosemont frappée par la Crise de 1929, où papa est chômeur. Elle quitte l’école à 13 ans pour s’occuper de la maisonnée, sa mère ayant trouvé du travail (dans le cadre de l’effort de guerre). A cœur de jour elle s’imprègne des airs à la mode qui passent à la radio, tout en faisant tartes et gâteaux sur le poêle à bois. À 14 ans, bien que n’ayant pas l’âge légal, elle convainc l’usine où travaille sa sœur aînée de lui donner sa 1ere job. Avec son salaire, elle s’offre quelques cours d’art dramatique avec Jeanne Maubourg, chanteuse d’opéra et comédienne d’origine belge, ayant connu les scènes du Met, du Covent Garden et autres, au début du siècle. Le mérite de Mme Maubourg est surtout d’avoir inscrit sa très jeune élève à l’audition pour le rôle principal dans Le Chant de Bernadette de Franz Werfel au Radio-théâtre Lux à la station CKAC. Rôle qu’elle décroche contre des vedettes comme Janine Sutto. Monique n’a que 15 ans (ou presque).    

 

1948-1950

Les engagements ne suivant pas, Monique est retournée en usine. Elle y déclenche une grève contre le port du filet sur les cheveux, fait les 400 coups avec ses copines devenues ses colocataires… et fréquente en simple cliente le cabaret le Faisan Doré, où règne le maître de cérémonie et humoriste Jacques Normand, la coqueluche de l’heure. Avec des amis comédiens, Monique fait partie d’un groupe de jeunes qui se donne le surnom des ‘’Faisans de bruit’’.  Son amie Léone fréquente le gérant Edmond Martin. C’est elle qui lui suggère d’essayer Monique, un soir où la chanteuse habituelle a fait faux bond. Il l’engage au premier essai.

 

Voilà Monique Tremblay, dite Leyrac, devenue chanteuse de cabaret professionnelle, à 18, 20 ans, partageant la scène avec Paul Berval, le duo Roche et Aznavour, au Faisan Doré. Son répertoire, léger, mêle chansons québécoises, répertoire français et surtout sud-américain. En fait, c’est là qu’elle apprend, à la dure et sur le tas, le métier de captiver le public, avec l’exemple de Jacques Normand, qu’elle observe attentivement, comme première véritable école. Ce cabaret appartenant à Cotroni, chef de la pègre montréalaise, il se passe de louches incidents, parfois, dans l’escalier arrière, mais les artistes n’en ont pas trop conscience ou ne veulent pas le savoir ! Aznavour sera cité beaucoup plus tard par le journaliste Sylvain Cormier du Devoir, évoquant avec tendresse ses années des débuts dans "ce Faisan qui n’avait de doré que les dents des gars de la pègre qui menaient le bal dans la ruelle arrière".
 

Une idylle lie brièvement Monique à Jacques Normand, son premier amour, mais la relation prend vite fin sur un conflit d’orgueil.  Très amie avec Pierre Roche et Charles Aznavour (une courte amitié amoureuse sera évoquée dans les mémoires de ce dernier), elle les accompagne à Québec où un engagement les attend. Elle-même inaugure un autre cabaret, qui la retient plusieurs semaines.  

 

1949

Peu à peu, Monique Leyrac devient un nom connu (elle fait la couverture de Cinémonde). Elle tient la vedette dans le film québécois Les lumières de ma ville où elle interprète des chansons de Pierre Petel. Elle enregistre quelques chansons, dont Le p’tit bonheur de Félix Leclerc.

1950 – 1951

Elle part seule à Paris, dans l’idée d’y faire carrière. Sur le bateau, elle croise par hasard ses anciens patrons les frères Martin. Avec un coup de pouce de ces bons amis, suivent des engagements dans plusieurs boîtes chics de Paris, chez Clément d’abord, puis chez la célèbre Suzy Solidor, amie des peintres et des aristos. Ensuite c’est la Belgique, la Suisse, puis pour quelques semaines marquantes (sur le plan culturel et humain) : le Liban. À son retour à Montréal, elle se produit dans deux cabarets, Le Montmartre et Au Saint-Germain-des-Prés. 

 

1952 - 1953

Rencontre avec Jean Dalmain en hiver 1952 à Montréal, retrouvailles à Paris printemps 52, bébé en août 1953, mais mariage seulement en 1959. Séparation en 79-80, divorce officiel en 89).  Le couple vit à Paris de 52 à 58, mais avec de nombreux retours au Qc. 1958 à 1968 : on habite rue Elm à Westmount, puis rue Ridgewood dans Côte-des-neiges à Montréal. En juin 1968, on repart vivre à Paris, base de la carrière canado-anglo-québécoise de Monique pour les dix prochaines années environ. Retour progressif mais définitif au Québec vers 75- 77. 

 

C'est donc un soir de spectacle de l’hiver 1952 au Saint-Germain qu'elle rencontre le comédien français Jean Dalmain, arrivé au Québec le 2 février pour y créer l’École de théâtre du Théâtre du Nouveau Monde, fondé à peine 3 mois plus tôt. Dès cette première saison, il monte et joue dans plusieurs pièces du TNM (Maître après Dieu, Jonas, Le Maître de Santiago), mais retourne en France, entre autres pour jouer le roi dans Le Cid de Corneille, aux côtés de Gérard Philipe, au Festival d’Avignon. 

 

Monique rejoint Jean à Paris. Elle a 24 ans, lui 37. Un an plus tard leur naît une fille, Sophie (Gironnay du nom véritable de son père puisque Dalmain est un nom de scène). Dans l’atelier d’artiste du 18 rue LaBruyère, 9e arrondissement (5e et 6e étage sans ascenseur) qu’ils achètent, le projet de Monique est d’abord de vivre à fond sa vie de mère au foyer, de devenir une vraie parisienne et un cordon bleu… Mais très vite, Dalmain est de retour à Montréal pour mettre en scène le Dom Juan avec Jean Gascon dans le rôle-titre, une production devenue phare du TNM où lui-même remporte un succès dans le rôle du valet Sganarelle. 

 

Dès 1954, c’est Dalmain qui ouvre à Monique la porte d’entrée vers cette carrière de comédienne dont elle rêve, où elle excelle, et dont elle se revendiquera toujours. Il lui offre ses tout premiers rôles sur scène, dans les Trois Farces de Molière pour le TNM. Ce spectacle mythique composé de deux mises en scène de Dalmain et d’une de Gascon, sera repris avec toute sa troupe d’origine (Gascon, Hoffmann, Germaine Giroux, etc.) en 1958 au Festival international de théâtre de Paris, et fera un vrai malheur volant quasiment la vedette aux célèbres troupes de Brecht et de l’Opéra de Pékin.  Au début des années 50, (année?) en France, la troupe de Michel Gudin, un ami, invite Jean à jouer Le Malade imaginaire dans une tournée au Maroc et Monique y incarne Toinette. En 1957, la troupe de Marcelle Tassincourt donne Le Dialogue des Carmélites de Bernanos dans son théâtre de Versailles. Dalmain est salué par la critique (notamment par le très sévère et illustre Jean-Jacques Gautier) dans le rôle de l’aumônier, et Monique y est l’une des religieuses. Ayant l’oreille absolue, c’est elle qui donne le La aux autres, au moment d’entonner les chœurs. 

 

Mais qui est ce Jean Dalmain? Entré premier sur 300 concurrents au Conservatoire de Paris en 1932 à 17 ans, Jean Dalmain est un fou de théâtre qui connaît le répertoire par cœur. Fait prisonnier par les Allemands en 1939, il monte, avec ses camarades de camp, des pièces de Molière en ré-écrivant les textes de mémoire… Avant de réussir son évasion (au 3e essai seulement, et donc au péril de sa vie).  Il a été formé dans la classe de Louis Jouvet, qui l’embauche dans sa troupe dès 1945 au Théâtre de l’Athénée. Auprès de cet immense homme de théâtre arrivé, dans ces années, au faîte de sa gloire, Jean Dalmain agit comme assistant, est de la création de pièces de Claudel et de Giraudoux, se taille un succès personnel dans le rôle de l’instituteur de Knock et est de toutes les tournées de la compagnie en Egypte, Pologne, etc. Pédagogue de talent, il enseigne déjà à 30 ans à l’École de théâtre réputée de la rue Blanche (métier d’enseignant qu’il ne quittera qu’à l’âge de 91 ans). Vers 1950, les futurs fondateurs du Théâtre du Nouveau Monde Jean-Louis Roux et Jean Gascon viennent étudier à Paris. Dans le cadre d’une initiative de matinées classiques, Dalmain les met en scène dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais et devient l’ami proche de Jean Gascon. Au décès de Jouvet en août 1951, c’est tout naturellement que Gascon pense à Dalmain pour l’inviter à renforcer l’équipe du TNM par sa formidable expérience. 

 

Au Théâtre du Nouveau Monde, Jean Dalmain dirigera Monique Leyrac dans Le Médecin malgré lui, avec Guy Hoffmann, dans Georges Dandin, avec lui-même dans le rôle du mari, et Gaby Gascon dans celui de l’amant. Il la distribue dans des comédies de boulevard, comme Oscar de Marcel Achard, Le fils d’Achille et autres spectacles qu’il produit pendant la longue grève des réalisateurs de Radio-Canada au début des années 60. Au Théâtre Anjou, Théâtre de poche, La Poudrière, et autres salles de fortune, avec Pierre Thériault pour complice, le trio forme une entité irrésistible de drôlerie dans Les Boulingrin, La peur des coups (de Courteline), dans des spectacles du répertoire 1900 chanson et poésie mêlées.  On retrouve ensemble Leyrac et Dalmain dans des mises en scène de Gascon pour le TNM comme Le Didon de Feydeau, Richard II de Shakespeare, ou L’Opéra de Quat’Sous.  Sous la direction de Dalmain, Monique se retrouve même tragédienne dans le rôle de Bérénice, de Racine.

 

L’union de Monique Leyrac et Jean Dalmain durera jusqu’en 1980, sous le signe de leur passion commune pour la scène, pour la langue française, pour le travail humble et acharné de l’artisan sur l’intelligence des textes, et pour le respect du public qui n’a droit qu’à la perfection et rien d’autre. Leur approche du métier est fondamentalement semblable, peu importe les genres et les lieux d’expression. La diction de Leyrac, son jeu que tous remarquent aussi dans ses tours de chant, lorsqu’elle chante de grands morceaux de bravoure comme La Manikoutai par exemple, lui viennent de ces années de théâtre. De leur rencontre jusqu’à leur rupture, Dalmain sera partie prenante de tous les spectacles non chantés, aidant à travailler les rôles, à la mise en place, à la mise en scène et l’éclairage de pièces à un personnage comme Mademoiselle Marguerite ou Divine Sarah, mais aussi les shows Nelligan. Et si l’exemple de Jacques Normand fut l’école de Monique Leyrac, on peut affirmer que Jean Dalmain fut son université. 

 

1954

Elle tient le rôle-titre des 29 épisodes du téléroman Anne-Marie, sur des textes d’Eugène Cloutier, à Radio-Canada, en compagnie de Roland Chenail. 

 

Jean Dalmain lui offre ses tout premiers rôles sur scène au Théâtre du Nouveau Monde, dans le montage dit ‘’Les Trois Farces’’, trois pièces en un acte de Molière : Le Mariage Forcé et Sganarelle, mises en scène de Jean Dalmain, La Jalousie du barbouillé, mise en scène de Jean Gascon.  

 

1958 - 1962

Au Festival international de Paris, en 1958, reprise des Trois Farces en triomphe. Puis retour et installation du couple à Montréal. Court-métrage de Claude Jutra, Félix Leclerc vagabond (ONF). Important télé-théâtre à deux personnages, Ciel de lit, pièce de Jan de Hartog adaptée par Colette (Radio-Canada).

 

Divers rôles comiques au café-théâtre avec Jean Dalmain et souvent aussi Pierre Thériault, dans des productions et mises en scène de Jean Dalmain :  Oscar, Le Fils d’Achille, Monsieur Masure (Marcel Achard), La Peur des coups, Les Boulingrin (Courteline) ou encore montage 1900 de chansons et poésie. 
 

Pour le TNM, plusieurs rôles sous la direction de Jean Dalmain ou de Jean Gascon, souvent aux côtés de Guy Hoffmann avec qui elle forme un duo irrésistible dans Le Médecin malgré lui (Molière) ou Le Dindon de Feydeau.  

 

Dans une mise en scène de Jean Gascon (qui joue Maceath), aux côtés de Jean Dalmain et Germaine Giroux qui jouent ses parents, de Guy Hoffmann, Monique Mercure, Pauline Julien, etc. son interprétation de Polly Peachum dans L’Opéra de Quat’Sous de Berthold Brecht et de Kurt Weile fait date. Elle y chante le fameux air de La fiancée du pirate, et marque une génération d’auteurs comme Michel Tremblay. Dans Les Douze Coups, il attribue à ce spectacle et à Monique Leyrac en particulier sa vocation de dramaturge. Interrompue dans ce rôle par un accident, elle reprend la scène avec encore la jambe dans le plâtre et triomphe au théâtre Stella (futur Rideau Vert), dans la comédie policière de Marcel Achard L’idiote, aux côtés de François Cartier, Yvette Brind’Amour.  

 

1962 – 1964

A la radio, avec Pierre Thériault, elle anime la matinale quotidienne d’humour et de chanson Plein Soleil de Radio-Canada. Lorsqu’il est question d’insérer des publicités au programme, le duo migre à un autre poste. 

 

À la télévision, elle est la rusée secrétaire de l’agence Jobidon dans la série Les Enquêtes Jobidon, aux côtés de Marc Favreau, Yvon Dufour et Henri Norbert. Elle anime et chante dans La Boîte à surprises, Ce soir ou jamais, C’est la vie, Jeunesse Oblige (photo) ou encore Bonsoir Chérie avec Dominique Michel.  
 
1963

Elle remporte le premier prix du Concours international Chansons sur mesure avec Les amours anciennes de Sylvain Lelièvre. En tournée à Québec de L’Opéra de Quat’Sous, elle rencontre Gilles Vigneault, jeune auteur inconnu qui lui offre son répertoire mis en musique par Claude Léveillée. Elle décide d’en faire son premier album. 

 

1964

Chaque semaine, elle est hôtesse et chanteuse à l'émission Pleins feux à la télévision de Radio-Canada. Son disque Vigneault et Léveillée fournit la trame d’un spécial Pleins Feux de Monique Leyrac en récital. L’impresario Sam Gesser l’invite à faire la première partie des Swingle Singers à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Elle y crée ce qui deviendra les plus grands classiques de Vigneault, dont L’Hiver et surtout Mon Pays. Ovation debout, multiples rappels : Monique Leyrac est une révélation. Comme l’écrira Marcel Dubé, elle devient ‘’la voix d’un peuple’’.  

 

Retour victorieux de Sopot.
 
 


1965

Déléguée par la Société Radio-Canada au Festival international de la chanson de Sopot, en Pologne, elle gagne le Grand prix de la Journée internationale pour son interprétation de Mon pays de Vigneault et celui de la Journée polonaise avec La Petite mélodie qui revient. Elle obtient aussi, la même année, le Grand prix du Festival de la chanson à Ostende, en Belgique. À son retour, le maire de Montréal, accompagné d'André Gagnon, Gilles Vigneault et Jean Dalmain, l’accueille et organise à l’improviste en son honneur et celui de Vigneault un spectacle à l’Aréna Maurice-Richard. Pour venir entendre Vigneault et Leyrac, 6200 personnes achètent leur billet en l’espace de 48 heures. 

 

La carrière internationale de Monique Leyrac en tant que chanteuse est définitivement lancée. Elle l’occupera exclusivement pendant les huit, dix prochaines années, faisant alterner passages de promotion à la télé, tournées et récitals, quête de répertoires, microsillons. 

 

1965-1966 marque le démarrage de son mytique récital en robe rouge à la Comédie canadienne (enregistré en direct, à l'époque des disques 33 Tours), pour deux heures en scène, avec un répertoire surtout québécois, comprenant du Calvé, Vigneault, Leclerc, un peu de folklore et aussi des chansons écrites par Michel Conte, alors chorégraphe à la télévision et auteur-compositeur à ses heures. Son accompagnateur et responsable des arrangements est André Gagnon. 

 

En 1966, son récital triomphe au Town Hall de New York. Le grand patron de l’Olympia Bruno Coquatrix y assiste, et décide de monter un spectacle de Québécois, dans son temple du music-hall.  En août, les Parisiens découvrent Les Feux Follets, Les Jérolas, Claude Gauthier et surtout Monique Leyrac qui assure la deuxième partie et récolte d’excellentes critiques. 

 

Une tournée dans le très soviétique URSS l’amène (avec ‘’Dédé’’ toujours et une formation de musiciens du groupe de jazz de Jacques Loussier) à chanter à Moscou, Leningrad et en Estonie, pendant six semaines, devant des salles combles et enthousiastes. 

 

(En ces années le public russe est d’une très profonde culture musicale et se montre sensible à ces accents d’un autre pays de neige. Si bien que les organisateurs tentent de retenir Monique pour une prolongation. C’est avec cran mais de justesse qu’elle se gagne le droit de revenir de derrière le rideau de fer! Comme les slotis et les roubles ne valent rien en Occident, on la paie surtout en tableaux… ce qui déclenche chez elle une passion pour les arts visuels.) 

 

Elle donne plusieurs récitals à la Comédie-Canadienne (1965, 1970), à la Place des Arts (1968, 1971), au théâtre Capitol à Ottawa (1968), au Centre national des Arts (1969), et fit des tournées notamment au Québec (1965, 1968, 1970) et ailleurs au Canada (1967, 1970), allant jusqu’aux fin fonds du pays, parfois même en hydravion. Son anglais étant sans accent, elle chante et joue dans les deux langues mais son répertoire reste essentiellement franco-québécois.  
 
 
1967

Elle enregistre 39 émissions pour la radio de Toronto (CBC) et deux albums en anglais à Londres. Elle connaît un immense succès tant au Massey Hall de Toronto qu’au Carnegie Hall de New York. Lors de l’Expo 67 à Montréal, elle donne une série de spectacles. Elle est aussi invitée, avec Oscar Peterson, au Perry Como Show. Après des concerts à la Place des Arts et la tournée au Québec, elle reçoit une fois de plus le trophée de l’interprète féminine de l’année au Festival du disque.

 

1968

Elle est invitée au Rolf Harris Show à la BBC de Londres. Elle chante devant la Princesse Margaret, en français, ce qui est l’occasion d’un échange cocasse : ‘’Pourquoi ne pas chanter en anglais?, interroge la princesse. – Je suis Québécoise’’, répond Monique, révérence à l’appui. 

 

En juin 1968, la famille Dalmain-Leyrac repart vivre à Paris. C’est de là que Monique Leyrac conduit sa carrière désormais, ceci dans l’idée de conquérir le public français, tout en conservant son lien avec le Québec… mais aussi, tout en profitant de sa maison de campagne dans la forêt de Rambouillet, puis plus tard en Provence, pour se plonger dans des paysages et des cultures du terroir qu’elle aime particulièrement. De nombreuses traversées transatlantiques sont la trame de ces dix années, tant pour Monique que pour Dalmain. 

 

1969

Elle est invitée au Ed Sullivan Show (saison 22, épisode 34). Cette populaire émission américaine a été diffusée de 1948 à 1971, en direct de Broadway. Les prétendants se présentent au public dans l’après-midi, mais seuls les meilleurs sont retenus pour la retransmission du soir, devant des millions de téléspectateurs américains. Monique Leyrac sera l’unique artiste du Québec à passer le test et le fait haut la main. 

 

Charles Trenet lui offre une chanson, Les fugues de Bach. Elle adore ces chansons faites à partir de thèmes du répertoire classique.

1970-1971

Découverte par Guy Béart, elle chante dans son émission de télévision et tient la vedette anglaise de son spectacle à Bobino pendant un mois. Dans ces années yéyé et post yéyé, sa compagnie de disques Columbia lui cherche activement de nouveaux répertoires, plus susceptibles de faire des ‘’tubes’’ à la radio, condition sine qua non pour toute chanteuse populaire en France. De multiples rencontres avec les auteurs connus (Françoise Dorin, Serge Lama, Aznavour bien sûr…  ) donnent des résultats inégaux, mais renouvellent sa palette, avec Paris Violon de Michel Legrand, Pour cet amour ou Toute une musique, qui s’ajouteront au corpus. 

 

Lorsque l’idée est lancée d’un spectacle de chansons avec l’Orchestre symphonique de Montréal, à la Place des arts -- une expérience que Monique Leyrac sera la toute première à tenter! -- c’est pourtant vers Luc Plamondon qu’elle se tourne. Il n’a qu’un titre à son actif, mais Monique devine un talent dans les rimes de Dans ma Camaro. Pendant un mois, Luc Plamondon habite avec la famille Dalmain-Leyrac à la campagne, avec pour mandat d’écrire des paroles sur des musiques classiques! Chaque nuit, il écrit, au matin Monique passe ses textes au crible. C’est pour ce spectacle à l’OSM qu’il a, entre autres, écrit C’est ici que je veux vivre, titre de cette exposition, sur un thème de Villa-Lobos.

 

Luc Plamondon dira d’elle : « Monique Leyrac a été l’une des personnes à l’origine de ma carrière, la première chanteuse à chanter mes chansons. Je lui dois beaucoup. Elle m’a tout appris. » 

 

Cette année-là, elle tourne aussi à Montréal aux côtés de Geneviève Bujold et Donald Sutherland dans le film Act of the Heart de Paul Almond. 

 

1972

La télévision de Radio-Canada présente le portrait-récital Une femme comme les autres à l'émission Les Beaux dimanchesRetour au théâtre, le temps de reprendre son rôle de Polly Peachum, cette fois en anglais, dans The Threepenny Opera au Festival de Stratford, en Ontario. 

 

1975

Monique Leyrac achète les droits d’une pièce brésilienne à l’humour féroce, et à un personnage, qu’elle a vue jouer à Paris par la grande Annie Girardot. Cette maîtresse d’école déjantée est un rôle en or pour elle. Elle demande à Michel Tremblay d’en faire une adaptation pour le Québec. Ce sera Mademoiselle Marguerite de Roberto Athayde donnée au Théâtre du Nouveau Monde et mise en scène par Jean Dalmain. La pièce est reprise au Centre national des Arts à Ottawa en 1976 et en 1978 au Nouveau Théâtre de l’Île d’Orléans. Elle chante aussi au Kennedy Center à Washington et au Centennial Hall de Winnipeg.

 

1976

Retour à Bobino, à Paris où pendant cinq semaines, elle fait la première partie du spectacle de Georges Brassens. Elle chante autant La Manikoutai et Mon pays, de Gilles Vigneault, Aimons-nous, d’Yvon Deschamps, que Le temps d’aimer, de Luc Plamondon, écrit sur une mélodie de Brahms. Son accompagnateur et arrangeur est désormais Denis Larochelle, compositeur et pianiste à la tête de la petite formation de musiciens. 

 

1977 - 1979

Ces trois années marquent deux sommets absolus dans le cheminement de Monique Leyrac. Tout d’abord son spectacle Félix Leclerc, par lequel elle veut faire redécouvrir aux Québécois toute la beauté et la musicalité de l’œuvre du grand poète qui n,est pas prophète en son pays. Sur scène comme sur l’album qui en est tiré, les arrangements subtils de Denis Larochelle, et l’interprétation de Monique font merveille. Les critiques au Québec sont dithyrambiques, parlent d’un spectacle ‘’important", d’une grande beauté. Félix lui-même, très touché, lui écrit : XXX

 

L’autre sommet est le spectacle qu’elle conçoit portant sur Émile Nelligan, lui aussi plutôt méconnu dans ces années. Poèmes mis en musique par André Gagnon, spectacle accompagné par deux pianos classiques, comédienne magique... Après des mois de préparation et de recherches, le travail mène à un spectacle donné sans trop d’attentes par une Monique heureuse de s’attaquer à de grands textes, pour son plaisir. C’est aussitôt le triomphe.  Bouleversés, les spectateurs lui tombent dans les bras en pleurant, dans les coulisses. Au Patriote, au Gesù, puis en tournée au Québec et en Ontario. Repris en 1985, dans une approche plus incarnée où Monique ne raconte plus mais devient Nelligan…

 

En 1978, à Paris, l’administrateur de l’Odéon (l’ami Michel Godin), l’invite à jouer ce Mai d’amour, dans la petite salle…  Comment les Parisiens peuvent-ils comprendre qu’une chanteuse dite populaire se mue subitement en grande tragédienne, en diseuse…? Réfractaire aux redites et en quête sans cesse de défis nouveaux, Monique a horreur d’être cataloguée, sa carrière dût-elle en souffrir gravement dans ce pays de Cartésiens. Or, aussi incroyable que cela puisse paraître, le spectacle tient cinq semaines au Théâtre de l’Odéon!  

 

Dans les années 80, elle reprendra sur plusieurs thèmes (Baudelaire mis en musique par Léo Ferré par exemple, ou Paris-Berlin) cette manière novatrice de créer des spectacles concepts alliant des textes, des chansons, une recherche historique fouillée, jusque dans l’esthétique du spectacle, contrôlée dans le menu détail.  Pour cette autodidacte qui a quitté l’école à 13 ans, lire, apprendre et nous apprendre est sa passion. Mais surtout rester libre et ne pas s’ennuyer.

1979

Changement brutal de registre en 1979, avec son show Ragtime présenté à la Place des Arts, un spectacle de music-hall total, avec danseurs, plumes et paillettes. Pots-pourris, numéros de danse sud-américaine (avec ananas sur la tête) renouent avec l’époque cabaret. Elle anime quatre émissions d’une heure à Radio-Canada sur le même ton, où elle découvre et fait découvrir de jeunes talents.

 

1980

Elle participe au spectacle hommage à Gilles Vigneault en y interprétant Je vous entends chanter

 

1981

Elle crée Divine Sarah, sur la vie de Sarah Bernhardt, qu'elle interprète en français (mise en scène par Jean Dalmain dans les débuts) et en anglais à Montréal, Québec et Toronto. Les décors qu’elle complète elle-même avec ses trouvailles chez les antiquaires, les costumes, tout recrée minutieusement l’ambiance Art Nouveau qu’adorait Sarah. Sur cette toile de fond, la comédienne Monique Leyrac donne chair et sang à la star d’une autre époque.  

 

1982

Elle chante Les Paradis artificiels, spectacle constitué des textes de Baudelaire mis en musique par Léo Ferré, qui tient l'affiche trois mois au Café de la Place des Arts. Dans un décor de sculptures en miroir, elle donne au poète un air des années 80, en habit punk et cheveux rouges. Elle interprète ensuite des chansons d'Aristide Bruant et d’Yvette Guilbert dans Spectacle 1900, également au Café de la PDA.

 

1983

Elle publie son autobiographie, Mon enfance à Rosemont, où revivent l’école, l’ambiance du quartier, les sœurs et les frères, les bêtises avec les copines, l’usine... 

 

La comédienne Gina Bausson en tire un charmant spectacle, Monique avant Leyrac, où Martine Franck et Sylvie Legault racontent l’histoire de la petite Monique et chantent les succès de la grande Leyrac.   

 

Elle annonce alors son retrait de la chanson, ce qui ne l’empêchera pas de revenir à la télé ou sur scène à quelques reprises, pour notre plus grande joie! 

 

1986 – 1989

Elle joue le rôle de la ‘’méchante’’ Laurence Trudel dans le téléroman présenté à Radio-Canada, Des dames de cœur, créé par Lise Payette.

 

1989

Elle revient à la scène lyrique dans un spectacle intimiste présenté au Café de la Place   intitulé Paris-Berlin, sur des textes de Bertolt Brecht et Jacques Prévert, qu'elle interprète en compagnie du comédien Paul Savoie. Dix ans après la pièce Divine Sarah, elle fait la mise en scène et joue seule sur scène Sarah Bernhardt et la bête, aussi présentée en anglais et en français.

 

1990

Elle joue le rôle de Bélize dans Les femmes savantes de Molière avec la Nouvelle compagnie théâtrale, mise en scène de Lorraine Pintal, rôle pour lequel elle obtient le Prix de la critique de la meilleure comédienne de soutien.

 

1995

Elle crée le rôle de l’épouse d’un ministre, aussi désagréable qu’attachante, dans Le Voyage du couronnement, texte de Michel Marc Bouchard, mise en scène de René Richard Cyr. 

 

Parmi les nombreux honneurs reçus, elle a été nommée Officier de l’Ordre du Canada en 1967, Chevalière de l’Ordre national du Québec en 1998, proclamée deux fois meilleure chanteuse de l'année par des sondages publics et deux fois femme de l'année par les rédactrices des rubriques féminines de la presse canadienne. Elle a aussi reçu le prix de musique Calixa-Lavallée en 1979, le prix du Québec pour les arts de la scène — le prix Denise-Pelletier en octobre 2013, puis le prix hommage de la Socan en 2017.


26 février 2018
Le jour de son 90e anniversaire, Richard Leclerc se rend chez Monique Leyrac à sa maison de Sutton, avec un bouquet de fleurs et lui demande s’il peut concevoir une exposition consacrée à sa carrière… ce à quoi elle répond : Pourquoi pas! 
 
Avril 2019
 
: parution du livre Monique Leyrac – Le roman d’une vie, de François Dompierre.

15 décembre 2019

Décès de Monique Leyrac à l’hôpital de Cowansville, âgée de 91 ans. Malheureusement, elle n’aura pas vu cette exposition qui lui est consacrée, conçue avec l’aide de sa fille Sophie Gironnay.

« Il est quatre heure du matin à Athènes, on me réveille pour m’apprendre la mort de mon amie, MONIQUE LEYRAC, pour m’annoncer le départ de celle que j’aime et que j’estime, celle que je fais rire aux éclats, celle qui m’a fredonné ces chansons il y a encore de cela quelques mois, celle que je n’ai pas pu voir cet été, celle qui a marqué toute une génération par son immense talent, celle qui a défié son époque, celle qui a transgressé les préjugés et les conventions de son époque, féministe sans l’être… celle qui a été adulée. Celle à qui je tenais la main encore récemment. Sachez que je suis bouleversé, mon amie. J’imagine que Charles et Sophie le sont aussi. Tu as dû recevoir la lettre que je t’ai écrite la semaine dernière. Nous aurons raté le dernier rendez-vous. Tu as toujours refusé que je te tutoie mais permets-moi, en ce jour de ton départ, de te dire je t’ai toujours aimée et de te dire au revoir avec mes larmes. Adieu, Monique. Merci pour ton estime et pour ce que tu as fait pour notre nation. Merci pour Leclerc, Vigneault, Nelligan, Léveillée, Gagnon, Baudelaire… ». Les genres musicaux ne connaissent pas de frontières quand on parle des plus grands artistes.

Michel-Marc Bouchard, sur sa page Facebook.

 

Début décembre 2019

Il y a dix jours, j’étais avec elle dans sa chambre à la résidence «La Renaissance» de Cowansville. Je lui ai proposé de venir au piano avec moi, de faire un peu de musique. Elle m’a souri, s’est laissée pousser jusqu’à l’instrument. J’ai joué quelques-unes de ses chansons fétiches, celles qu’elle interprétait jadis avec tant de fougue, «Pour cet amour qui vient au monde», «C’est toute une musique» «l’Hiver», «Mon pays, et plusieurs autres». Aphasique pourtant, elle s’est mise à les fredonner, elle n’avait rien oublié et prononçait nettement toutes les paroles. De grosses larmes coulaient sur ses joues, sur les miennes aussi. Les résidents se sont approchés, nous avons chanté quelques airs de Noël, tous ont applaudi la grande artiste. Je suis allé reconduire Monique à sa chambre. Je l’ai embrassée.

Repose-toi bien Monique ! »

François Dompierre

 

Discographie

Monique Leyrac chante Vigneault et Léveillée : 1963; Col FS-601 et Harmonie KHF-90084.

Pleins feux sur Monique Leyrac : 1964; Col FS-622;

Mes premières chansons (repiquage du précédent) : (1973); Harmonie KHF-90232.

Monique Leyrac en concert : Montréal 1965, Paris 1966; Col FS-644.

Monique Leyrac (en anglaise) : 1967; Col ELS-316.

Monique Leyrac à Paris : 1967; Col FS-657.

Beautiful Morning : 1968; Col ELS-324.

Monique Leyrac : 1969; Col FS-720.

Monique Leyrac chante la joie de vivre : 1969; Col FS-695.

Les Grands succès de Monique Leyrac : (1971?); Col GFS-90009.

Monique Leyrac (1678-1972) : 1972; Zodiaque ZOX-6003.

Qui êtes-vous Monique Leyrac? : 1972; RCI F-679.

Parlez-moi de vous : (1973); Col GFS-90019.

Monique Leyrac chante Nelligan : 1975; Barclay 9001.

Monique Leyrac chante Félix Leclerc : 1977; Poly 2424-157.


 
 

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